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Monsieur le Président,
Mes chers Confrères,
Mesdames, Messieurs,
La place Saint-André à Grenoble constitue un site animé
et pittoresque qui a jadis tenté les dessinateurs romantiques et
dont les photographes modernes tirent d'attrayantes cartes postales. Le
plus souvent, l'eglise Saint-André ou la façade du Palais
de Justice accompagnent en arrière-plan la massive silhouette de
bronze qui veut représenter Bayard mourant. Cette statue, hommage
de la Restauration à un grand serviteur de la France et de ses
rois, est, hélas, plus riche de bonnes intentions que de qualités
artistiques! Mais il est permis de déplorer davantage encore les
inexactitudes historiques accumulées tant dans l'équipement
du héros que dans son attitude même et jusque sur l'inscription
qui commémore ses faits d'armes. Après l'avoir loué
de sa vaillance à Fornoue, bataille à laquelle il n'avait
pas assisté, ce texte le fasait mourir à Robecq, village
qu'il quitta pourtant en parfaite santè pour n'être blessé
à mort que deux mois plus tard près de Rovasenda, à
une cinquantaine de kilomètres de là!
Camille Monnet, historien de Bayard.
Si l'épigraphe gravée sur le socle de la statue a pu être
rectifiée, c'est grâce aux travaux d'un de nos confrères
et compatriotes, Camille Monnet, qui, à la suite d'une rencontre
de hasard, finit par consacrer sa vie à rechercher la vérité
historique sur Bayard. En poste universitaire à Turin de 1909 à
1940, il fut prié de rédiger une présentation de
Bayard à l'occasion du quatrième centenaire de sa mort,
en 1924. Au cours de ce travail, publié deux ans plus tard sous
le titre: "Bayard et la Maison de Savoie", Camille Monnet s'aperçut
qu'il restait bien des obscurités dans l'histoire du Bon Chevalier.
Poussant plus avant ses recherches, il consulta les documents le plus
divers dans les fonds d'archives disséminés en France, en
Italie, en Espagne ou en Autriche. S'il dut aller si loin, c'est notamment
en raison de la disparition de tous les documents conservés jadis
au Château-Bayard. Ces papiers, rassemblés en 1793 par un
officer du Fort-Barraux, furent expédiés par lui à
Paris pour être mis en lieu sûr. Les dix caisse qui les contenaient
n'arrivèrent, hélas, jamais à destinatio et l'on
ignore quel fut leur destin. Malgré cette irréparable lacune
et grâce à l'opiniâtretè de sa quête,
notre chercheur put affirmer que le récit de Jacques de Mailles,
compagnon de Bayard qui avait signé du pseudonyme de "Loyal
Serviteur", ne méritait nullement le credit que lui avait
imprudemment accordé jusque-là les historien. Du reste,
le titre adopté par le chroniqueur, "La très joyeuse,
plaisante et récréative histoire du gentil Seigneur de Bayard",
indiquait suffisamment ses intentions et aurait dû alerter le sens
critique des savants. Camille Monnet s'efforça, des années
durant, de rétablir la vérité dans plusieurs livres,
dont la "Petite histoire véridique des faits et gestes du
capitaine Bayard" est d'une fréquentation particulièrement
agréable. En 1957, Camille Monnet avait obtenu le titre de Docteur-ès-Lettres
pour son étude détaillée de la dernière campagne
de Bayard en Italie, dans les années 1523-1524. Agé alors
de 76 ans, lauteur de ce travail d'erudition poursuivait ses recherches
poussé par la seule passion scientifique et la soif de connaître
la vérité. Il ne les interrompit qu'à sa mort, survenue
dans sa quatre-vingt-quatorzième année, en 1974.
Une occasion nous est donnée de suivre Camille Monnet et de profiter
de la lumière qu'il a projetée sur la vie du Chevalier Sans
Peur et Sans Reproche. On admet en effet que la naissance de Bayard se
situe vers 1476. C'est donc avec un léger retard seulement que
l'on en célèbre à Pontcharra et à Paris le
cinquième centenaire. L'Académie Delphinale a jugé
bon de s'associer à ce mémorial et c'est pourquoi je me
propose de crayonner devant vous quelques croquis pour évoquer
les actions les plus fameuses ou les plus méritantes de notre illustre
compatriote.
La Château-Bayard.
Campè sur une petite croupe, au midi de Pontcharra, le château
de Bayard, en réalité simple maison-forte, fut constuit
au début du XV° siècle par Pierre Terrail, dit le Vieux,
noble bien modeste dont les domaines, vastes de 28 journaux, c'est-à-dire
à peine 7 hectares, ne lui permettaient guère de mener grand
train. L'edifice qu'il fit élever était pourtant loin d'étre
négligeable: divers dessins du début du XIX° siècle,
au temps où les ruines étaient plus coplètes qu'aujourd'hui,
nous montrent un corps de logis carré à trois étages
de fenêtres à meneaux, flanqué de quatre tours d'angle
rondes, selon un plan trè usité qui reproduit le dispositif
de la célèbre tour du Temple à Paris. Divers bâtiments
s'appuyaient à ce donjon et rejoignaient les deux tours qui encadrent
l'entrée fortifiée. Un mur de soutènement porte la
terrasse qui s'étend du côté de la vallée,
d'où l'on jouit d'une vue merveilleuse sur le Grésivaudan.
Au pied du côteau, le hameau de Grignon, les champs coupés
de haies et de rideaux d'arbres, le cours tumultueux du Bréda,
tout l'espace où se déroula, un siècle à peine
après la jeunesse de Bayard, la bataille de Pontcharra au cours
de laquelle Lesdiguières dispersa les troupes hispano-savoyardes.
Au milieu de la plaine, l'Isère tortille ses méandres compliqués
et divague d'un bord à l'autre du large sillon que lui aménagea
la nature au coeur des Alpes. Au-delà de la rivière, les
toits de tuile brune des casernes du Fort-Barraux se haussent avec prudence
au-dessus des parapets de l'enceinte gazonnée qui couronne une
butte oblongue. Enfin, les falaises grises ou orangées de la Chartreuse
s'enlèvent en deux bonds puissants pour venir fermer l'horizon,
haut dans le ciel.
Le fils du constructeur de ce château, Pierre II Terrail, seigneur
de Bayard, eut huit enfants, dont on suppose sans preuve que notre héros
fut l'aîné. Il est vraisemblable que la charge d'une famille
nombreuse imposa à Pierre II Terrail et aux siens une vie très
ascétique. C'est grâce à son oncle laurent Alleman,
frère da sa mère et évèque de Grenoble, que
le jeune Pierre II Terrail put franchir les premières étapes
de la carrière militaire. Il commença par de très
modestes études à l'école cathédrale de la
capitale dauphinoise, où il apprit à signer son nom, sans
aller jusqu'à savoire écrire ni peut-être même
lire! Puis Laurent Alleman, dont dépendaient Chambery et le décanat
de Savoie, obtint pou son neveu en 1486 une place de page à la
cour ducale. Le néophyte y reçut le surnom de Riquet, vite
transformé en Piquet, et fit l'apprentissage des armes à
Turin. Il termina sans doute ses sept années de "pagerie"
à la cour de France et entra comme homme d'armes à la compagnie
de Ligny en 1493, âgé d'environ 17 ans.
Les méthodes de guerre au XVI° s.
L'époque était favorable pour entamer une brillante carrière
militaire, puisqu'en cette année 1493 Charles VIII, séduit
par la chimère italienne, concentrait à Lyon de puissants
effectif pour aller faire valoir ses droits sur le royaume de Naples.
D'esprit romanesque, très différent de son pére Louis
XI, le roi de France voulait s'illustrer dans une grande entreprise et
envisageait sa campagne au-delà des Alpes comme la prèface
à une croisade en orient, dont le projet renaissait d'une façon
cyclique depuis deux siècles. La complexité des opérations,
des revirements, des négociations entrecroisées, que favorisaient
la multiplicité des petits états italiens et le jeu intéressé
des grandes puissance: France, Espagne, Autriche, défie une description
claire que nous n'auront pas l'imprudence de tenter. D'ailleurs la stratégie,
qui demeure fort traditionelle, contribue à créer cette
impression de confusion. Il s'agit pour chaque parti de pratiquer une
guerre d'usure et d'entraver le ravitallement de l'adversaire en ravageant
les campagnes, de couper ses lignes de communications, de tenir quelques
gages en s'emparant des places-fortes. La bataille rangée reste
exceptionelle, car son issue fait trop de part au hasard, et le moins
bien armé peut assez facilement refuser le combat. On voit donc
des troupes occuper de vastes régions ou au contraire les abandonner
sans qu'une rencontre décisive ait eu lieu, par le simple jeu des
manoeuvres et de la pratique de la terre brûlée.
Enter aussi en considération l'humeur des soldats. Les contingents
de mercenaires qui forment la majeure partie des effectif sont très
attentif à se faire payer! Le commandement est-il dans l'impossibilité
de verser la solde, refuse-t-il une augmentation subitement réclamée?
Voilà nos hommes qui abandonnent leur camp pour se livrer à
quelche pillage, rentrer chez eux ou encore s'engager chez l'adversaire
plus offrant! On voit la justesse de l'observation de Giono à propos
de ces fluctuations incessantes et inattendues: "L'absence d'âme,
écrit-il, donnait à cette armée une fluidité
excessive et un taux d'évaporation élevé!".
Il est assez facile d'imaginer l'épreuve qui fut imposée
aux campagnes italiennes par ces longs et incessants déplacements
de troupes, tant à pied qu'à cheval, traînant derrière
elles de lourds équipages d'artillerie, le convoi des chariots
à bagages, bondés des fruits des rapines et du pillage,
les voitures de provisions, celles des ribaudes... Des armées qui
pouivaient compter jusqu'à 30.000 hommes vivaient de réquisitions,
réduisant souvent les habitants à la famine et à
un état de faiblesse qui limitait singulièrement leur résistance
aux épidémies, compagnes des concentrations humaines. Sur
ce fond de monotone et fatigante grisaille quotidienne, l'histoire, la
légende aussi parfois ont retenu quelques faits d'armes propres
à frapper les imaginations. Des génération d'écoliers
ont jadis et naguère révé sur ces èpisodes,
lorsque l'histoire "événementielle" était
encore enseignée. Je vous présenterai aujourd'hui quelques-unes
de ces images d'Epinal.
Faits d'armes de Bayard.
Nous voici parvenus en juillet 1502. L'homme d'armes "Piquet"
est devenu, depuis la mort de son père en 1496, Seigneur de Bayard
et s'est déjà acquis une solide renommée de vaillance
et de loyauté. Ce prestige, difficile à gagner au sein d'une
armée dans laquelle ne manquaient pas les combattants vigoureux
et intrépides, notre héros va encore l'accroître dans
une très ètonnante rencontre renouvelée de l'épisode
fameaux des Horaces et des Curiaces. Les troupes de Louis XII essayent
alors, non sans peine, de se maintenir dans le royaume de Naples dont
les soldats de Ferdinand d'Aragon les chassaient progressivement, malgré
un accord de bon voisinage signé entre les deux souverains. Or
le capitaine d'Ars et sa compagnie, dont faisant partie Bayard, infligeant
des pertes sérieuses aux Espagnols, ceux-ci proposent un combat
à outrance de onze contre onze, en champ clos.
Le défi relevé, on fixe lieu et date et un beau matin de
julliet 1502, devant plus de 10.000 spectateurs rassemblés sur
les murailles de Trani, ville toute proche, en dans les prés d'alentour,
les champions des deux camps entrent en lice. Impressionnant spectacle!
Voici les cavaliers français, entièrement revêtus
de leur armure faite de plaques articulées, casque en tête,
panache flottant, visière baissée. Du bras droit tendu,
ils tiennent leur puissante lance posée sur la cuisse. Tous leurs
chevaux, sauf trois, sont cuirassés de metal qui miroite au soleil
et couverts de draperies brodées qui ondoien au rytme de leurs
pas. Les Espagnols entrent à leur tour dans l'arène, un
champ de 160 pas de côté, entouré d'un mur. Les voici
en place, alignés face aux Français, prêts à
ce tournoi au cours duquel il ne sera point fait de quartier. Les trompettes
sonnent et d'un seul élan les adversaires se précipitent
les uns contre les autres. Les sabots des chevaux font voler la terre
et c'est le choc, dans le tintamarre des armure qui se heurtent, des lances
qui se fracassent, des hommes et des chevaux qui s'abattent et tentent
de se relever. Les Espagnols ont frappé les montures et quatre
Français sont à terre, dont deux hors de cobat. Mais trois
de leurs adversaires sont également tombés. Les champions
se regroupent et la lutte reprend, toujours aussi violente. Les cavaliers
démontés combattent à pied très afficacement
et les Espagnols perdent bientôt leur premier avantage: Bayard notamment
a rèussi plusieurs fois à saisir au passage la lance d'un
ennemi pour la confier à un de ses compagnons désarmés.
Voici qu'il ne reste plus en selle que deuz champions de chaque camp.
Bayard est du nombre. Les Espagnols, très malmenés, se découragent.
Ils refusent le combat à deux contre deux que leur offrent leurs
adversaires et se retirent dans leur camp jusqu'à la nuit tombée.
Ils proposent finalement que l'on déclare la balance égal
et qu'il n'y ait ni vainqeurs ni vaincus, ce que les Français ont
la magnanimité d'accepter.
Malgrè cette issue d'apparence incertaine, la vaillance des nôtres,
celle surtout de Bayard, avaient frappé les spectateurs et la renommée
s'en répandit largement. Six mois plus tard, notre chevalier allait
à nouveau s'illustrer dans un épisode analogue. Défié
par le capitaine espagnol Alonso de Sotomayor, qui l'accusait bien injustement
de l'avoir maltraité durant sa captivité, le Dauphinois
releva le gant et accepta de combattre à pied, armé d'une
épée, et d'un poignard. C'etait à son désavantage,
car il venait de prouver, lors du combat à outrance des onze, qu'il
était un cavalier sans rival. Le duel lui permit de démontrer
une supériorité tout aussi redoutable comme fantassin, car
il fit au visage de son adversaire une telle blessure que celui-ci en
mourut sur le champ! Bayard entrait dans la légende et ses excploits
se racontaient souvent dans les camps où les soldats distrayaient
volontiers leur ennui en écoutant des récits héroiques.
La retraite des troupes françaises hors du royaume de Naples allait
leur fournir l'occasion d'ajouter un nouveau fait d'armes à une
série dejà plus qu'honorable. Français et Espagnols
occupaient chacun un des rives du Garigliano, gros torrent méditerranéen
héritier de l'antique Liri, qui se jette dans la Méditerranée
au nord de Naples, à proximité de Gaëte. Desireux de
risquier la bataille dans des conditions qui lui paraissent favorable,
le Marquis de Gonzague, Général en chef des troupes du Roi
de France, fait envoyer un échelon de reconnaissance qui traverse
le fleuve sur un pont de bateaux rapidement lancé. Averti au dernier
moment, Bayard, qui ne veut pas manquer l'occasion, se joint ai petit
goupe d'éclaireurs en simple pourpoint, sans avoir pris le temps
d'enfiler sa cuirasse ni son casque. Mais les trois ou quatre cents Français
et Suisses qui ont franchi le Garigliano sont rapidement débordés
par les 1.500 hommes appuyés d'artillerie que lance contre eux
Gonzalve de Cordoue. Il faut battre en retraite, en hâte! Armé
d'une simple javeline, Bayard couvre ses compagnos. Arrivé à
l'entrée du pont, l'étroitesse même du passage impose
à ses adversaires de se présenter un à un devant
lui et la bataille se transforme en une série de combats singuliers.
La vaillance, l'adresse, l'endurance de Bayard font merveille et il faut
toute la persuasive ardeur de ses compagnons pour qu'il en laisse quelques-uns
prendre le ralais: on cite le père de Brantôme et le capitaine
Ymbault de Rivoire. Ce dernier, un Dauphinois, Seigenur de Romagnieu,
excita l'admiration des habitants de Lyon, ville dans laquelle il demeurait.
La ruelle qui desservait sa maison porte encore le nom qui lui fut alors
donné de "Montée du Garillan". C'est finalement
l'artillerie française, mise en batterie sur la rive opposée,
qui contraignit les Espagnols à prendre le large et mit fin à
la bataille.
Nous n'accompagnerons pas Bayard dans la longue retraite qu'il effectua
avec l'armèe royale au lendemain de sa brillante défense
du Garigliano, ni dans son séjour à Lyon pour se rétablir
après une blessure. Nous ne le suivrons pas à la prise de
Gènes en 1507, occasion d'un éblouissant défilé
de troupes françaises, roi en tête, sous un das cramoisi;
il fallait en effet donner aux habitants une durable impression de la
puissance du royaume des lis: une rutilante miniature de Jean Bourdichon
nous en a laissé le souvenir. Le Bon Chevalier fut encore à
Agnadel, victoire qui plaça en 1509 Venise à la merci de
Louis XII. Ce dernier venait précisément d'octroyer à
Bayard les fonctions de capitaine.
Organisation de l'armée française.
Peut-être convient-il, pour mieux saisir l'importance de cette promotion,
de préciser ici rapidement l'organisation de l'armée royale
au dêbut du XVI° siècle. La sructure d'ensemble n'a guère
varié depuis les réformes promulguées par Charles
V et reprises par Charles VII. Les troupes permanentes ne consistent qu'un
noyau très réduit sous le nom de Compagnies d'Ordonnance,
dont les effectif ne dépassent pas 18.000 hommes. Le reste des
soldats doit être levé selon les besoins, à la veille
du départ en campagne. On distingue les francs-archers, infanterie
fournie par les paroisses, les "bandes" de Picardie et de Piémont
et enfin la masse des combattants étrangers, principalement des
lansquenets allemands et des mantagnards suisses. Tandis que les milices
provinciales sont d'un entraînement et d'une valeur très
divers, les mercenaires, vèritables professionels, font preuve
d'un grand mérite. Mais si leurs exigences finacières, parfois
très élevées, ne sont passatisfaites, ils cessent
de se battre et peuvent mettre le commandement dans une situation délicate.
Les compagnies d'ordonnance nous apparaissent donc comme les seules unité
régulières, bien entraînées et disciplinées,
en un mot, l'elite des troupes royales. Comme il s'agit de cavalerie,
la tactique de l'epoque leur réserve le rôle principal, selon
la formule courante: "Les gens de cheval doivent assaillir et les
gens de pied doivent attendre!" leur titre vient de l'Odonnance qui
les crée signé par Charles VII en 1445. Chaque compagnie
est subdivisée en une centaine de "lances", c'est-à-dire
en autant de petits groupes de six cavaliers capables d'agir d'une façon
autonome. On trouve en effet dans chaque "lance" des combattants
à l'armement varié et complémentaire. En tête
vient "l'homme d'armes", terme au sens précis qui désigne
un soldat lourdement cuirassé, ainsi que son cheval, et armé
principalement d'une lance: il dirige l'equipe. C'est un noble, de même
que les deux archers qui l'accompagnent sur leurs montures, munis de cuirasse
à peine plus légères que celles de leur chef. Le
coutillier, la page, jeune noble en train de parfaire son èducation
chevaleresque, et le valet d'armes, également montés, ne
sont qu'accidentellement des combattants et ont pour mission d'assurer
le service de l'homme d'armes et des archers.
Une compagnie complète comportait cent lances, soit environ 600
hommes, auxquels pouvaient s'ajouter nombre de gens de pied. Mais il arrivait
frèquemment, pour des raisons tactiques par exemple, que les unités
fussent scindées en deux ou même en quatre: ces nouvelles
compagnie ne comptaient plus qu'une cinquantaine ou moins d'une trentaine
de "lances". Les "monstres", c'est-à-dire les
revues d'effectif passées par les commissaires du roi pour servir
de base au paiement des troupes, nous apprennent aussi que les lances
pouvaient être incompletès, si bien que d'une compagnie à
l'autre le nombre du soldats peut varier de moins de 200 à beaucoup
plus de 1000. Charles VII avait crée 15 compagnies d'ordonnance,
mais on en compta presque toujours au moins vingt.
A ces troupes d'élite, la fleur de la noblesse française
fournissait normalement des chef. Ayant fini leur temps de pagerie, le
jeunes fils de seigneurs faisaient leurs dèbuts au combat comme
hommes d'armes, puis devenaient enseigne, guidon, voire lieutenant, mais
tous ne pouvaient atteindre le titre prestigieux de capitaine, en raison
du petit nombre de postes disponibles pour cette fonction. Que Bayard,
issu de fort petite noblesse, ait été choisi par Louis XII
pour commander une compagnie montre assez de quelle glorie et de quel
prestige il était auréolé à la suite de ses
campagnes en Italie. Certes il s'agissait d'une petite unité de
25 lances, mais la promotion n'en était pas moins flatteuse. D'autant
que l'effectif des cavaliers se trouvait renforcé par 500 gens
de pied. Le roi eut même voulu lui en voir lever un millier, mais
le Chevalier avait modestement répondu" "Sire, c'est
beaucoup pour mon savoir, je n'en voudrais que 500".
En 1511, Louis XII trouve une èlégante solution pour mieux
utiliser et récompenser les mérites de Bayard sans froisser
la susceptibilité des grands siegneurs. Pour ce faire, il crée
une nouvelle compagnie, qu'il attribue au duc Antoine de Lorraine, mais
dont le vaillant Dauphinois reçoit le commandement effectif avec
le titre de Lieutenant. Le voici à la tête de 80 lances,
sans parler des volontaires, probablement nombreux à se disputer
l'honneur de combattre sous les ordes d'un chef aussi remarquable. Les
occasion de bien servir n'allaient pas manquer aux soldats de la compagnie
de Bayard! En fèvrier 1512 les voici au siège de Brescia,
que Gaston de Foix reprend aux Vénitiens stupéfaits de voir
surgir de la tempête de neige les Français qu'ils croyaient
loin. Mais le vaillant capitaine dauphinois est laissé pour mort
dans le combat, très grièvement blessé par un coup
de pique qui lui a ouvert la cuisse de bas en haut. L'artère fémorale
n'a heureusement pas été sectionnée et Bayard survit.
On l'imagine rongeant son frein dans une chambre à Brescia, alors
que Gaston de Foix, chef énergique et rapide, cherche à
livrer à l'ennemi une bataille décisive! Un mois à
peine après avoir failli périr, voici Bayard à cheval
pour rejondre l'armée royale, au prix d'un trajet de 250 kilomètres
environ. Réalise-t-on bien la vigueur physique et plus encore la
force d'âme que représente un tel raid accompli par un homme
dont la chair profondément meurtrie n'a pas eu le temps de se cicatriser
et auquel chaque mouvement, chaque heurt devait causer une douloureuse
commotion? Encore affaibli, peu capable de combattre, Bayard assista plus
qu'il ne put participer à la fameuse bataille de Ravenne, gagnée
le 11 avril 1512 par Gaston de Foix qui, malheureusement, périt
à la fin de cette glorieuse journée. Ses successeurs n'avaient
ni son coup d'oeil ni son audace et l'armée française évacua
progressivement la plaine du Pô.
Louis XII, contraint de faire face aux menaces directes qui pesaient sur
les frontières septentrionales du royaume, n'eut guère le
loisir de s'occuper de l'Italie durant les dernières années
de son règne. Il venait pourtant d'amorcer une vaste et utile préparation
diplomatique lorsque la mort interrompit ses activités. On sait
qu'il s'est attiré la reconnaissance de bien des écoliers
à la mémoire rebelle en cédant la place au nouveau
règne le I° janvier 1515. Cette année est certainement
l'une des rares de notre histoire antérieures à 1789 dans
laquelle la plupart des Français sont capable de situer un événement
précis: la bataille de Marignan!
Marignan.
François I° a en effet repris les projets italiens de son prédécesseur
et dès les premirs mois de son règne il a assuré
par une série de traités la sécurité de ses
arrières. Dans le même temps, l'armée se rassemble
près de Lyon avant de se mettre en marche sur grenoble et la frontière.
Autour des 18.000 cavaliers des compagnies d'ordonnance viennent se grouper
plus de 40.000 fantassins, tant français que gascons, navarrais
ou allemands. Pour cette masse imposante, la plus nombreuse qui eut jamais
encore franchi les Alpes, les étapes furent organisées avec
un soin méticuleux par des fonctionnaires royaux familliers de
la région, depuis vingt ans que les troupes allaient et venaient
à travers la chaîne. Comme à l'accoutumée,
la cavalerie et les convois passèrent par la seule route existante
et des vivres leurs furent préparées aux étapes de
La Mure, Gap, Chorges et Saint-Crépin. Les gens de pied, pour leur
part, se contentèrent des sentiers qui accèdent au Lautaret
et trouvèrent leur ravitaillement à Vizille, Bourg-d'Oisans,
la Grave et le Monêtier.
On se préparait donc une fois encore à passer par le Mont
Genèvre, mais les Suisses, installés à Suse et à
Pignerol, en interceptèrent le issues: il fallut chercher un autre
itinéraire. Le Maréchal Trivulce, à Embrun, interrogea
des chasseurs de chamois qui lui confimèrent que le meilleur chemin
pour l'armée serait le col de Larche, qui était loin d'être
inconnu des responsables français puisqu'un livre paru précisément
en 1515 et consacré aux passages des Alpes le décrivait
avec précision. De Saint-Crépin, le gros des troupes traversa
donc Guillestre, franchi le col de Vars, redescendit en Ubaye et remonta
jusqu'au village de Larche et au lac de la Madeleine pour suivre enfin
la Stura jusqu'à Demonte et Coni. A part quelques difficultées
localisées pour faire passer l'artillerie, très pesante,
ce cheminement ne posa pas de problèmes particuliers. Bayard joua
certainement un rôle efficace dans la rapide exécution de
ce changement d'itinéraire. Envoyé en avant-gard avec 3.000
hommes, il franchit probablement le col Agnel en Queyras et vint par Château-Dauphin
surveiller les troupes suisses installées dans le marquisat de
Saluces. Des renseignements précis dont il fit part au Maréchal
de la Palice permirent à ce dernier de monter un coup de main et
de capturer Prosper Colonna, un des principaux chef adverses.
Cette brusque irruption des armées du Roi de France en Piémont
provoqua une prudente retraite des Suisses à la solde des Espagnols.
François I° engagea avec eux des négociations, car il
existait parmi les montagnards des cantons helvétiques un fort
parti disposé à renouer avec la France. Le 8 septembre,
on tombait d'accord et le roi récolta parmisa noblesse toute la
monnaie, la vaisselle et les objets d'or et d'argent disponibles pour
atteindre le montant de la subvention convenue, car les Suisses se payaient
cher et comptant! Mais le Cardinal de Sion, Mgr Schinner, véritable
chef des bandes helvétiques, ardent partisan de l'empereur Maximilien,
ayant rassemblé ses troupes à Milan, les harangua avec vigueur
et réussit à en convaincre le plus grand nombre de reprendre
campagne pour le compte des impériaux. La perspective de s'emparer
des sommes rassemblées par le Roi de France et en même temps
de faire main basse sur les bagages de l'armée française
séduisit les mercenaires dont l'avidité était insatiable.
Profitant d'une escarmouche dont il dramatisa la nouvelle, le Cardinal
de Sion lança ses troupes, une trentaine de milliers d'hommes,
contre les positions des Français installés à proximité
de Marignan et qui manquérent d'être surpris.
En cette après-midi du 13 septembre 1515 commence une très
dure bataille. Le Maréchal Trivulce, qui en avait vécu dix-huit,
put dire "qu'à côté de celle-là, les autres
étaient des jeux d'enfants!" Les piquiers suisses avancent
en formant le hérisson, écrasent les lansquenets, arrivent
à s'emparer d'une batterie de notre artillerie, non sans avoir
chèrement expérimenté son efficacité. François
I° écrira le lendemain à sa mère: "Vous
assure, Madame, qu'il n'est pas possible de venir en plus grande fureur
ni plus hardiment". Il s'agissait de l'élite des troupes suisses,
des jeunes gens triés entre tous le cantons, qui se distinguaient
par une plume blanche piquée à leur béret. Il fallut
de vigoureuses contre-attaques, où le roi lui-même s'engagea
de toute son ardeur, pour dégager les positions françaises.
"La fleur de lis, fleur de haut prix, y est en personne", dit
la fameuse chanson sur la bataille de Marigna composée par Clément
Jannequin. Et le roi, dans la lettre évoquée plus haut,
raconte: "Me sembla bon les charger et le furent de sorte, et vous
promets, Madame, que si bien accompagnés et quelque galants qu'ils
soient, deux cents hommes d'armes que nous étions en défimes
bien 4.000 Suisses et les repoussâmes assez rudement en les faisant
jeter leurs piques et crier France!" Bayard partecipait à
chacune de ces charges. La mêlée se poursuivit au clair de
lune et ne s'arrêta que vers onze heures du soir, lorsque l'astre
fut couchè.
Les positions des uns et des autres sont alors imbriquées dans
le plus grand dèsordre. Des rencontres inattendues s'opèrent
dans l'obscurité et maint soldat égaré meurt égorgé
avant d'avoir crié merci. Lancinants, les modulations lugubres
et les profonds appels des longues trompes des bergers d'Uri et d'Unterwalden
rameutent à travers la nuit les Suisses disperés. François
I° fait lui aussi par intermittence sonner son trompette italien et
parvient à rallier la majeure partie de ses troupes. Bayard se
dépense sans compter à rassembler tout le monde. Dès
l'aube les combats reprennent, mais l'ardeur des Suisses s'est fort atténuée:
ils mesurent leurs lourdes pertes et voient s'éloigner la perspective
d'un fructueux pillage. L'annonce de l'arrivée des nos alliès
vénitiens - en fait, un très modeste détachement
- achève de les décourager. Leur bandes se disloquent, tentent
de regagner Milan, mais la plupart seront massacrés par les Vénitiens.
Ainsi le roi a-t-il remporté une victoire éclatante, grâce
notamment à son artillerie qui a démantelé les hérisson
des piquiers suisses. La réputation très brillante des vaincus
ne fait que rehausser le prestige du vainqueur et cette bataille, engagée
par les Suisses essentiellement pour pouvoir piller, est devenue l'épisode
décisif de toute la campagne: Milan ouvre ses portes, François
I° traite avec le Pape et termine victorieusement les Guerres d'Italie.
Le 15 septembre au matin, lendemain de la bataille, les compagnies d'ordonnance
sont rassemblées. Devant leurs lignes bariolées que surmontent
les lances dressées et le frisson des panaches plantés sur
les casques, s'avance le Roi. François I° a vingt-ans. Il est
de grande taille, vigoureux et bien fait, auréolé par son
recent succés et par le courage et la valeur dont il a fait preuve
la veille. Le voici qui met un genou en terre devant Bayard, revêtu
de son armure. Le roi a voulu être adoubé chevalier par celui
qui réalise le mieux aux yeux de tous l'idéal de courage
et de loyauté que se fixèrent les preux du Moyen-Age. Le
Chevalier San Peur et Sans Reproche abaisse son épée à
deux reprises sur les épaules du soverain, puis le relève
et lui donne l'accolade pour achever cette extraordinaire cérémonie
qui, faisant fi de la hiérarchie féodale, n'a retenu que
celle de la vaillance!
Bayard, Lieutenent-Général du Dauphiné.
Quelque mois avant Marignan, le 20 janvier 1515, François I°
avait nommé Bayard Lieutenent-Général du Dauphiné.
Le gouverneur en titre était alors le duc de Longueville qui, selon
la coutume, ne s'occupait nullement de sa province dont la responsabilité
incombait donc totalement au Lieutenant-Général. Bayard
avait fait son entrée solennelle à Grenoble le 17 mars 1515,
au milieu d'un grand concours de peuple heureux d'acclamer un si illustre
compatriote. Tour à tour l'éveque Laurent Alleman, son oncle,
le Parlement et les Consuls avaient reçu le nouveau dignitaire
ou étaient venus lui rendre hommage en corps constituès.
Dès le mois de juillet, Bayard devait repartir guerroyer au-delà
des monts. La victoire de Marignan lui permit de séjourner par
la suite un peu plus longuement dans son gouvernement de Dauphiné,
non sans devoir à plusieurs reprises repartir en campagne en Italie
ou dans le nord de la France à la demande du Roi. Malgrè
ces nombreuses diversion, Bayard prit très à coeur ses fonctions
et s'acquit de nouveaux titres à la reconnaissance publique. Trois
domaines retinent spécialement son attention: la peste, les inondations
et les brigands.
Les passages de troupes qui se succédaient presque sans arrêt
dans le Dauphiné favorisaient les épidémies dont
il était bien difficile d'eviter l'extension. On avait beau chasser
les vagabonds ou les enfermer dans les hôpitaux, interdire l'acceès
de Grenoble aux voyageurs en provenence des régions atteintes,
les personnes contaminées rèussissaient souvent à
déjouer les plus sages précautions. En 1516 par exemple,
les consuls ne purent empêcher 1.500 lansquenets licenciés
des troupes royales et revenant d'Italie de traverser la ville, alors
que beaucoup parmi eux étaient atteints de maladies contagieuses.
La peste, dont le nom recouvre en fait des affections variées,
prenait ainsi de temps à autre une brutale et catastrophique extension.
Trois années durant, de 1520 à 1522, la ville fut ravagée
et les morts nombreux. Bayard aida les consuls à prendre les mesures
indispensables pour la protection des personnes, mais aussi celles des
nombreuses maisons abandonnées qui couraient grand risque de pillage.
Surtout, le Lieutenant-Gènéral sut donner l'exemple du courage
et du dévoiement, ce qui produsit sur ses concitoyens un effet
salutaire. Il n'hésita pas à visiter les maisons infectées,
entraînant avec lui médecins et chirurgiens peu enclins à
s'exposer. Il fit distribuer des secours sur ses propres deniers et soigner
à ses frais bien des pestiférés. En même temps
il prit des mesures pour empêcher la spéculation sur les
blés par laquelle l'incommensurable égoïsme des uns
n'hésitait pas à s'enrichir en profitant de la faim des
autres.
Bayard eut aussi l'occasion d'apporter sa contibution à la lutte
contre les inondations du Drac. Malgré les travaux déjà
considérables effectués pour contenir ce torrent fougueux,
les digues étaient souvent emportées et l'Isère,
jognant ses crues à celles de son affluent, interceptait parfois
le communications entre Grenoble et Lyon. En 1517 et à nouveau
en 1519, précédant ou complétant l'initiative des
consuls de Grenoble, Bayard prit des mesures et dégagea des crédits
pour effectuer les réparations le plus nécessaire.
Comme au temps de la Guerre de Cent Ans, des soldats déserteurs
ou licenciés, des vagabonds de tout poil avaient formé des
bandes dont l'activité de pillage du plat-pays évoquait
tout à fait le souvenir des fameuses Grandes Compagnies. Une troupe
de ces brigands, dirigèe par un "roi" nommé Maclou,
venant du Poitou, passa le Rhône et commença à mettre
le Dauphiné en coupe réglée. Ils étaient 1.500:
Bayard ne demanda aux consuls de Grenoble que 80 archers, complétés
de quelques hommes d'armes, mais cette troupe disciplinée et bien
commandée mit rapidement en fuite, prèe de Moirans, la horde
d'irréguliers. Le "roi" Maclou, qui avait coulu croiser
le fer avec Bayard, ne dut son salut qu'à une rapide et prolongée
jusqu'au-delà du Rhône!
Il faudrait encore, pour brosser un portrait exact de Bayard, mentionner
bien d'autres beaux gestes qu'il accomplit en tant que lieutenent-Générale
du Dauphiné. Nous sommes particulièrement sensibles aujourd'hui
au souci trè humain qu'il eut du sort des prisonniers gardés
dans le cchot de la porte Traîne: il exigea qu'ils fussent "nourris
honnêtement" et s'engagea à dédommager le geôlier
de sa dèpense.
Dernière campagne de Bayard.
Mais François I° ne lassait pas Bayard pratiquer longtemps
les travaux de paix! A partir de 1521, la grande activité du nouvel
empereur Charles-Quint imposa au Roi de France de reprendre bien souvent
les armes. Seul Bayard sembla capable de sauver Méziéres,
assiégé dans ses mauvaises murailles. A l'appel du Roi,
le Bon Chevalier entra dans la ville et réussit à en faire
lever le siège. Le collier de Saint-Michel et un brevet de capitaine
en titre d'une Compagnie d'Ordonnance de cent lances rècompensèrent
cet exploit. En 1522, ce fut une nouvelle mission de pacification à
Gênes, couronnée de succès elle-aussi. En 1523 enfin,
les hostilités reprirent avec une grande ampleur en Italie du Nord.
Mais l'armée française état commandée par
l'Admiral Bonnivet, bien piètre stratège. Le connétable
de Bourbons, qui s'était au contraire révélé
brillant général, venait de se révolter contre son
roi, non sans excuse il faut le dire, tant l'attitude de la reine mère
Louise de Savoie à son égard demeurait injustifiable. Heureusement
Charles-Quint, méfiant, n'utilisera pas vraiment les dons de son
nouvel allié et la jalousie des généraux espagnols
achèvera de le tenir en lisière. Si bien que cette campagne
des années 1523 et 1524 est assez dénée d'intérêt,
tant les manoeuvres des deux camps sont maladroites, les occasions manquées
nombreuses et les actions d'éclat inutiles.
Aprè une brillante et rapide conquête du Milanais, les troupes
françaises, laissant grignoter leurs positions, doivent progressivement
abandonner le terrain. Ami de longue date du duc de Bourbon, Bayard se
trouve dans une position morale délicate. Il avait en 1521 séjourné
à Moulins pour lui rendre visite et, à cette occasion, avait
parrainé son fils, encore un bébé, dans l'ordre de
la chevalerie. Bien que la remarque ne lui en eût jamais été
faite, Bayard pouvait craindre d'étre accusé de conserver
des rapports avec le traîte qui servait les armèes ennemies:
aussi, pour èviter de prêter le flanc à de tels soupçons,
s'abstenait-il de parteciper avec les autres capitaines aux réunions
qui se tenaient autour du commandant en chef pour discuter et décider
des mouvements à exécuter et des dispositions à prendre.
Je ne retracerai pas les tentatives d'assaut que le capitaine dauphinois
conduisit contre Crémone avec les effectifs insuffisants qu'on
lui avait confiés, ni le long et peu efficace blocus maladroitement
établi par Bonniver autour de Milan, ni l'épisode de la
"camisade" de Robecq, dramatique attaque par surprise lancée
par les Espagnols.
Mort de Bayard.
Mais voici que peu après avoir quitté Novare pour se rabattre
vers le Piémont, Bonniver a le bras gauche traversé par
une balle d'arcquebuse: il cède le commandement au Comte de Saint-Pol
et à Bayard. Ce dernier accompagne les unités d'arrière-garde
qui couvrent le repli effectué en bon ordre. Le 30 avril 1524 au
matin, prè du village de Rovasenda, une contre-attaque espagnole
est immédiatement arrêtée par Bayard et ses hommes
d'armes. Un autre groupe ennemi ayant fait main-basse sur quelques bagages,
Bayard réagit aussitôt et contraint les attaquants à
abandonner leur butin. C'est au moment où il fasait demi-tour pour
regagner sa colonne que le Chevalier est frappé, probablement d'une
balle d'escopette. Il tombe de cheval, car la blessure est grave. Il faut
observer à ce propos que les armes à feu portatives, qui
devinnent progressivement d'usage pratique au XVI siècle, ont plus
bouleversé la tactique que ne l'à fait l'artillerie, longtemps
peu maniable et réservée surtout à battre des positions
fortifiées. Les escopettes, les arquebuses, bientôt les mousquets,
malgré la lenteur de leur tir, vont rendre à l'infanterie
un rôle qu'elle avait cédé à la cavaleire durant
tout l'âge féodal. L'équipement de l'armée
espagnole en armes à feu individuelles, beaucoup plus précoce
que celui des soldats du Roi de France, compte sans doute parmi les raison
du sanglant désastre de pavie en 1525, moins d'un an après
la mort de Bayard.
Tombé de cheval, fait prisonnier, celui-ci se fait connaître,
demande qu'on lui ôte son armure qui le fait souffrir. Ses deux
écuyers, qui l'ont rejoint, l'ètendent avec d'infinies prècautions
à l'ombre d'un arbre. Bayard, sentant que sa blessure est mortelle,
dèclaire: "Il est inutile que je fasse soigner ce misérable
corps, c'est au salut de mon âme que je veux penser!". La nouvelle
se répand rapidement et bientôt arrivent deux des trois principaux
chefs de l'armée impériale, le Marquis de Pescara et Charles
de Lannoy, vice-roi de Naples. Les traditions divergent sur la présence
du troisiéme, le connétable de Bourbon. Les divers témoins
relatent les choses différemment, certains ne le mentionnent pas,
d'autres rapportent un échange de paroles qu'il aurait eu avec
Bayard. Cette rencontre est en tout cas très vraisemblable, mais
nous ne pouvons connaître ce que se dirent, dans ces circonstances
tragiques, ces deux amis qui se trouvaient dans des camps opposés.
Bayard avait du moins l'honneur de mourir en loyal serviteur de son roi.
Un convoi funèbre trasmit sa dépouille mortelle aux Français,
le corps de Bayard arriva le 20 mai 1524 à Grenoble. Les funérailles
solennelles n'eurent lieu qu'au mois d'août, au retour de Monseigneur
Laurent II Alleman, absent de son diocèse. L'inhumation fut pratiquée
dans la chapelle du convent des Minimes, crée avec la protection
de Laurent I Alleman, ami personnel de Saint-François de Paule,
fondateur de l'ordre. Au XVI siècle, un monument avec buste sculpté
du héros fut érigé au-dessus de la tombe. On connaît
trop l'incroyable série de fausses manoeuvres, tant au XIX qu'au
XX siècle, qui ont abouti à la disparition probablement
définitive des restes de Bayard, pour qu'il soit nécessaire
d'insister sur cet épisode posthume.
Il sera plus utile de réfléchir quelques instants sur la
grandeur de Bayard. Elle fut reconnue par ses adversaires eux-mêmes,
comme cet agent impérial qui écrivait à Charles-Quint:
"Sire, combien que le dit Sieur Bayard fut serviteur de votre ennemi,
si a été dommage de sa mort, car c'était un gentil
chevalier, bien aimé d'un chacun et qui avait aussi bien vécu
que jamais homme de son état, et à la vérité,
il l'a bien montré à sa fin, car ce fut la plus belle dont
je oui oncques parler. La perte n'est pas petite pour les Français!".
On peut à bon droit considérer Bayard comme le représentant
accopli de l'idéal physique et moral que pouvrait viser sa génération
et auquel tendait l'éducation des gentilshommes. Les vertus majeures
sont le courage militaire, le goût du combat, l'audace dans l'action,
le mépris de la souffrance et de la mort. Un entraînement
physique précoce et soutenu donne à cette vaillance un indispensable
soutien corporel et une habilité dans le maniement des armes qui
transsforme chaque guerrier en un redoutable champin dans les joutes individuelles.
Toute cette éducation est orientée vers le service de la
foi religieuse, du roi, c'est-à-dire de l'Etat et des valeurs morales
qui sont celles de l'ancienne chevalerie, demeurée trè vivante
dans les esprits romanesques de l'aristocratie à la fin du XV siècle.
Le respect des femmes, la protection accordée aux faibles, la loyauté
en toute circonstance ne sont pas considérés comme de vains
mots. Bayard porte bien près de sa perfection la pratique de ces
vertus. Une seule lacune surprend, c'est le peu d'instruction qu'il a
reçue. Il faudra encore une génération avant que
les humanistes, et notamment Rabelais, obtiennent pour la culture une
place de choix dans l'éducation des gentilshommes et qu'on s'approche
ainsi du type de l'honnête homme de l'âge classique.
Il est souvent de bon ton de trouver une saveur périmée,
voire un rien d'enfantin, à l'hommage rendu aux éminentes
qualités de certaines figures très pures. A condition de
ne pas s'accompagner d'aveuglement, l'admiration est pourtant un sentiment
noble et enrichissant. Nous savons, bien sûr, que Bayard a connu
des faiblesses et que son caractère comportait des dèfauts,
mais cette restriction, qui la rapproche de nous, ne diminue en rien la
grandeur de ses vertu. A bien les considèrer d'ailleurs, ne sont-elles
pas, même de nos jours, celles qui font les hommes les plus accomplis?
La vigueur physique, l'adresse dans les exercices corporels trouvent leur
prolongement dans le predigieux développement contemporain du sport,
le courage, la competénce dans l'activité choisie, le souci
d'excellence dans la réalisation de sa vocation sont des qualités
valables en tout temps. Quant à la loyautè, au dévouement
à la chose publique, au sens de l'obéissance, au respect
des autres, au souci de les aider et de les protéger, chacun penserà
sans doute que leur pratique ne saurait qu'améliorer aujourd'hui
encore les rapports entre les hommes et entre les nations! Oui! En vérité,
Bayard peut toujours nous être donné en exemple.
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